LES DOSSIERS
La bataille d’Angleterre
La Bataille d’Angleterre constitue l’un des épisodes les plus emblématiques de la Seconde Guerre mondiale. C’est le premier grand affrontement aérien de l’Histoire, opposant la Royal Air Force (RAF) britannique à la Luftwaffe allemande. C’est aussi le premier échec majeur du régime nazi : après la chute de la France en juin 1940, l’Angleterre se retrouvait seule face à Hitler, et la perspective d’une invasion semblait imminente. Pourtant, l’issue du combat allait démontrer que la supériorité technique et organisationnelle, doublée d’une volonté inébranlable, pouvaient stopper l’expansion du Reich.
Le contexte : l’Europe sous la coupe des nazis
En mai et juin 1940, l’Europe bascule. La Wehrmacht, qui occupe déjà Danemark et Norvège, envahit la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Paris capitule le 22 juin. La Grande-Bretagne, dirigée par Winston Churchill depuis le 10 mai, se retrouve désormais seule. L’opération d’évacuation de Dunkerque (26 mai – 4 juin 1940), permit certes de sauver environ 338 000 soldats britanniques et français, mais laissa néanmoins l’armée de terre exsangue et privée de son matériel lourd.
Désormais, pour Hitler, la logique stratégique est claire : il faut neutraliser l’Angleterre avant de se tourner vers l’Est. Ainsi, le 16 juillet 1940, il signe la directive n°16, lançant la préparation de l’opération Seelöwe (Lion de Mer). Cette opération était un projet d’invasion amphibie des côtes anglaises. Mais pour pouvoir débarquer, la première étape était de parvenir à obtenir le contrôle du ciel. Était alors lancé la Bataille d’Angleterre.
Les forces en présence
La bataille qui s’annonce oppose deux armées aériennes de grande puissance :
- La Luftwaffe. Commandée par Hermann Göring, elle aligne environ 2 600 appareils, dont près de 1 100 chasseurs Messerschmitt Bf 109 et Bf 110, ainsi que 1 500 bombardiers Heinkel He 111, Dornier Do 17 et Junkers Ju 88. Ses forces sont regroupées en trois Luftflotten (flottes aériennes) stationnées en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Norvège.
- La Royal Air Force (RAF). Dirigée par le maréchal Hugh Dowding, elle dispose d’environ 1 200 avions de chasse, principalement des Hawker Hurricane (2/3 de la flotte) et des Supermarine Spitfire (plus modernes et performants, mais en nombre limité). Toutefois, le Royaume-Uni peut s’appuyer aussi sur le système de défense intégré britannique. Ce système repose sur un réseau de radars (le « Chain Home »), un contrôle centralisé des interceptions et une discipline de communication remarquable. Un élément qui fera pleinement la différence dans la bataille à venir.
Sur le papier, l’équilibre semble défavorable aux Britanniques. Toutefois, leur organisation et leur capacité de réaction vont compenser leur infériorité numérique.
Le déroulement de la bataille d’Angleterre
Phase 1 : Les escarmouches de la Manche (10 juillet – 7 août 1940)
La première phase, connue sous le nom de « Kanalkampf », vise à contrôler la Manche. La Luftwaffe attaque les convois britanniques pour attirer la RAF au combat. Les pertes restent relativement limitées mais symboliques : environ 190 avions allemands et 120 avions britanniques détruits. C’est un prélude destiné à tester les défenses ennemies.
Phase 2 : L’offensive sur le sud de l’Angleterre (8 – 18 août 1940)
La Luftwaffe intensifie son action et cible les aérodromes du sud de l’Angleterre ainsi que les stations radar. Le 13 août 1940, surnommé « Adlertag » (le « Jour de l’Aigle »), marque le début officiel de l’offensive principale. Plus de 1 500 sorties allemandes sont lancées, mais les résultats restent décevants : les radars britanniques, même endommagés, sont rapidement remis en service.
Le 15 août, considéré comme la « journée la plus dure », voit plus de 1 700 missions allemandes menées. La Luftwaffe perd ce jour-là environ 75 avions, contre 34 pour la RAF. Les attaques coûtent cher aux Allemands, qui découvrent que la supériorité aérienne ne se conquiert pas facilement.
Phase 3 : L’assaut contre les aérodromes (24 août – 6 septembre 1940)
À partir de la fin août, nouvelle stratégie. Désormais, les bombardements se concentrent sur les aérodromes de la RAF et les usines aéronautiques. Avec un certain succès. La situation devient critique : entre le 24 août et le 6 septembre, la RAF perd plus de 400 chasseurs, tandis que la Luftwaffe en perd environ 600.
La fatigue des pilotes britanniques est immense : certains effectuent plusieurs sorties par jour, avec un taux de rotation très faible. Le nombre de pilotes devient plus préoccupant que celui des avions. Churchill prononce alors sa célèbre phrase à la Chambre des Communes (20 août 1940) :
« Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few. »
La RAF est clairement au bord de la rupture. Mais, à cause d’une simple erreur, le sort de la Bataille d’Angleterre va basculer.
Phase 4 : Le Blitz
Une erreur de navigation fatale
Dans la nuit du 24 au 25 août 1940, des bombardiers allemands Heinkel He 111, censés viser les installations militaires de la RAF, se perdent dans l’obscurité et larguent leurs bombes par erreur sur Londres. Les quartiers résidentiels du centre de Londres sont touchés, provoquant la mort de plusieurs civils. Cet incident n’était pas planifié par le haut commandement allemand, qui cherchait à éviter les bombardements massifs sur la capitale afin de concentrer ses attaques sur les bases aériennes et les stations radar britanniques.
La riposte de Churchill
Winston Churchill riposta immédiatement. Décidé à montrer que le Royaume-Uni pouvait frapper, il ordonna un raid de représailles contre Berlin dans la nuit du 25 au 26 août. Ce fut la première fois que la capitale du Reich était directement visée par des bombardements britanniques. Les dégâts matériels furent minimes. Toutefois, l’effet psychologique fut immense ! En effet, l’opinion publique allemande, persuadée que Berlin était intouchable, découvrait que la guerre pouvait atteindre le cœur du pays
La colère d’Hitler
Hitler aussi était furieux. Il exigea que la Luftwaffe concentre désormais ses efforts sur les grandes villes britanniques, et en premier lieu Londres. Ce changement de stratégie fut acté début septembre 1940. Ainsi, Hermann Göring promit que les bombardements massifs briseraient rapidement le moral de la population britannique et pousseraient Churchill à négocier la paix.
Le Blitz et ses conséquences
À partir du 7 septembre 1940 commença le Blitz, une campagne de bombardements intensifs sur Londres et d’autres grandes villes. Pendant 57 nuits consécutives, Londres subit des bombardements massifs. Le 15 septembre 1940, la RAF remporte une victoire éclatante : environ 60 avions allemands sont abattus, contre seulement 26 britanniques. Ce jour est commémoré comme le « Battle of Britain Day ».
Si les destructions et les pertes humaines furent considérables — environ 30 000 civils tués en 1940-1941 —, le moral britannique ne céda pas. Au contraire, la population se rallia autour de Churchill et la propagande mit en avant la résistance héroïque de « la nation debout ».
De l’autre côté, les pertes de la Luftwaffe deviennent insoutenables. À la fin octobre, elle a perdu environ 1 733 avions (dont 873 bombardiers et 389 chasseurs Bf 109). La RAF, elle, a perdu environ 915 chasseurs. Elle tient bon, et Hitler ajourne ainsi indéfiniment l’opération Seelöwe le 17 septembre 1940. Les bombardements de villes britanniques continuèrent néanmoins, mais avec une intensité généralement moindre, jusqu’au printemps de 1941, lorsque le gros de la Luftwaffe fut déplacé vers l’est en prévision de l’invasion de l’Union soviétique.
Pertes d’avions pendant la Bataille d’Angleterre
Les raisons de l’échec allemand
En décidant de frapper les villes plutôt que de continuer à cibler les aérodromes et les usines aéronautiques, Hitler commit une grave erreur stratégique. En effet, la RAF, qui avait été très éprouvée en août 1940, profita de ce répit inespéré pour se réorganiser. Elle répara ses pistes, forma de nouveaux pilotes et reconstitua ses escadrilles. Cette décision allemande permit aux chasseurs britanniques, Spitfire et Hurricane, de maintenir la supériorité aérienne au-dessus du sud de l’Angleterre
Ainsi, ce qui devait être une démonstration de force et un coup psychologique contre Londres s’avéra être une aubaine pour la RAF. La décision d’Hitler de détourner la Luftwaffe de ses objectifs militaires joua un rôle décisif dans la victoire britannique. Lorsque la bataille d’Angleterre s’acheva, le Royaume-Uni avait tenu. Et pour la première fois dans la guerre, l’Allemagne venait de subir un échec majeur.
La victoire anglaise permit à la Grande-Bretagne de rester dans la guerre, puis de devenir la base de lancement des futures opérations alliées. Aussi, elle permit de maintenir un front occidental virtuel, forçant Hitler à diviser ses forces sur deux fronts. Enfin, elle contribua également à renforcer l’image héroïque de Churchill et du peuple britannique, mais aussi à cimenter l’alliance anglo-américaine qui allait se concrétiser après l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941.